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Architecture, urban planning and research in, on and next to water
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Ville flottante

 

Paris Match, Daphné Mongibeaux, March 2013

Un quartier résidentiel d’Amsterdam a été entièrement bâti sur l’eau. IJburg est composé de quatre îles artificielles qui abritent quelque 16 000 personnes. A Waterbuurt, un de ses quartiers, les habitants vivent dans des maisons flottant sur une mer intérieure. Trois cents pionniers que notre reporter a visités. Une solution pour tromper la montée des eaux dans le monde.

Dans ce port d’Amsterdam, les marins sont de jeunes parents qui ne rêvent pas de voyages et d’aventures exotiques. Ils préfèrent le calme, la nature et le confort, et peu ont le goût du large. Frank, business analyste, qui a dessiné lui-même les plans de sa villa et a beau l’avoir appelée Le Bateau, ne songe pas une seconde à cingler loin de ses racines lacustres.  Alors que le soleil se couche sur l’IJmeer, la mer intérieure sur laquelle a été construit le quartier flottant baptisé Waterbuurt, les habitants voient leur vie se refléter dans les grandes baies vitrées illuminées de leurs voisins, si proches.

Comme Frank, Ineke, assise dans son canapé blanc XXL, se considère comme une pionnière de ce nouveau mode de vie. Elle se penche sur son iPad et rejette en arrière ses longs cheveux blonds. « Regardez, voici quelques photos de l’arrivée par la mer d’une maison du quartier. Pendant deux heures, tout le monde assiste à l’amarrage de l’édifice entre les deux piliers où il restera définitivement fixé. C’est toujours une petite fête et un moment émouvant pour les nouveaux propriétaires ou les locataires. »

1.Une maison est acheminée dans la ville par deux remorqueurs. Photo Roos Aldershoff Fotographie/Architectural Office Marlies Rohmer

Son mari, Roelof, sommelier, montre la page Facebook de leur quai, le Steiger C, sur laquelle il propose régulièrement le dimanche des apéros entre voisins. « Nous apprécions beaucoup de vivre sur l’eau. Nous nous sentons plus proches de la nature mais aussi les uns des autres. Le manque d’intimité caractéristique des Amstellodamois, la proximité des habitations et les règles communes que nous devons respecter participent au sentiment communautaire. »

« Ce qui fait également l’originalité de ces logements, c’est le “sous l’eau”, une grande pièce au sous-sol »

Les voisins d’Ineke, de Roelof et de leurs deux enfants, Pippi et Lola, étaient d’ailleurs heureux de les voir arriver en 2011. « C’est une habitation mitoyenne, elle était penchée depuis le départ de nos prédécesseurs ! Comme sur un bateau, il a fallu répartir les poids. Pour nous qui venions d’un appartement du centre-ville, nous avons dû aussi nous ­habituer à ce que la maison s’incline légèrement sous grand vent. Depuis que le quartier existe, une seule famille est partie à cause du mal de mer. J’avoue que les enfants et moi dormons bien mieux sur l’eau, ou plutôt sous l’eau, dans les chambres au sous-sol ! Enfin, l’environnement est tellement silencieux et les maisons si peu insonorisées que nous ­essayons de faire le moins de bruit possible pour ­respecter cette tranquillité si appréciable », raconte Ineke en servant du café au lait dans de grands verres.

Parmi les 90 maisons flottantes de Waterbuurt, 55 ont été dessinées par l’architecte néerlandaise Marlies Rohmer. Son idée : ouvrir au maximum les habitations sur l’extérieur. Les grandes baies vitrées, la terrasse à l’étage et le ponton – transformable en radeau à moteur – sont autant d’invitations à prendre l’air et voir la mer pour les chanceux qui vivent en périphérie du quartier. « Ce qui fait également l’originalité de ces logements, c’est le “sous l’eau”, une grande pièce au sous-sol. Construite en béton et située à environ 1,50 mètre en dessous de la surface, elle permet à la structure de flotter tout en gardant l’équilibre. Il a fallu aussi travailler avec la municipalité sur l’arrivée de l’eau, du gaz et de l’électricité. Ce fut un long chantier, mais nous y sommes parvenus », indique Marlies Rohmer qui a longtemps vécu sur un tjalk, une péniche hollandaise.

2. Le pont se lève pour laisser passer les nouvelles maisons. Photo Marcel Van Der Burg/Primabeeld/Architectural Office Marlies Rohmer

A priori, rien n’est à craindre au niveau de l’isolation, « du moins pendant trente à cinquante ans », précise tout de même l’architecte à propos de la durée de vie d’une telle bâtisse. Cependant, certains habitants, inquiets d’éventuelles fuites, auraient installé des détecteurs d’humidité. Construites avec du béton, de l’aggloméré et du PVC, ces « floating houses » très légères sont montées au chantier naval d’Urk, à environ 70 kilomètres d’Amsterdam, avant ­d’accomplir leur grand voyage, tractées par deux remorqueurs, le long du lac d’IJssel puis de l’IJmeer.

« Notre pays a gagné un quart de son territoire sur la mer »

Mais, depuis le début de la crise, les nouvelles venues se font plus rares dans le quartier. Plus de 70 maisons sont pourtant attendues ; d’autres voient leur chantier d’aménagement intérieur se prolonger depuis des mois et restent comme des carcasses vides posées sur l’eau. Le prix de ces maisons n’est pourtant pas beaucoup plus cher que dans les autres quartiers de la capitale. Ineke et Roelof ont payé 265 000 euros pour leur logement de 110 mètres carrés, et, comme tous les Néerlandais, ils louent la « terre » sur laquelle ils habitent, pour cinquante ans, au prix de 85 000 euros. « Contrairement aux autres Amstellodamois, nous avons un très gros avantage : nous n’aurons jamais à payer pour l’entretien et le remplacement des pilotis », se réjouit Roelof.

Le sol hollandais a, en effet, la particularité d’être une éponge : tous les bâtiments de la ville d’Amsterdam, dont les plus vieux datent du XIVe siècle, sont posés sur des pieux d’environ 20 mètres de longueur qu’il faut changer un par un. Un détail coûteux mais fascinant pour Frits Palmboom, l’urbaniste qui a supervisé le projet d’IJburg : « Notre pays a gagné un quart de son territoire sur la mer. » C’est lui qui, en 1998, a proposé à la municipalité d’Amsterdam d’agrandir la capitale en construisant un archipel. « Nous aurions pu réaliser un nouveau polder en faisant reculer la mer derrière une énième digue, mais je préférais que la ville s’invite dans la mer, qu’elle cesse d’être l’ennemi des Hollandais – traumatisés par de multiples inondations – pour qu’elle devienne enfin notre amie. »

3. L’été, on se baigne devant la maison. Photo Marcel Van Der Burg/Primabeeld/Architectural Office Marlies Rohmer

Ce projet, considéré au départ par les écologistes comme une menace pour l’environnement, fait aujourd’hui l’unanimité. Des réserves ont été créées pour compenser le déversement de millions de mètres cubes de sable composant les quatre îles, et on constaterait une plus grande biodiversité à IJburg et sur le littoral depuis quelques années. Il suffit d’ailleurs de se pencher au-dessus de l’eau, très claire et peu profonde (2 à 3 mètres), pour apercevoir carpes et sandres qui font le bonheur des pêcheurs et de leurs enfants. Et quand les beaux jours arrivent, les familles se jettent joyeusement à l’eau de leur ponton, pendant que le poisson grille sur le barbecue et que les mouettes tournoient dans le ciel.

La mer peut donc bien monter pour les habitants de Waterbuurt, ils seront au sec à bord de leur maison flottante. Leurs voisins, en revanche, regardent avec de plus en plus d’inquiétude l’Afsluitdijk, la grande digue qui ferme la mer intérieure et protège trois régions hollandaises, dont la capitale. Alors que d’énièmes travaux de rehaussement sont envisagés, de nouveaux quartiers flottants émergent aux Pays-Bas, où la mer se fait de plus en plus d’amis.

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